2.19.2012

la cerise sur le gâteau


Victor Ramalho
Je suis revenu de Dakar depuis plus d’une semaine maintenant. Je me tenais sur la cerise au sommet de mon gâteau géant, abasourdi comme après une immense clameur, ou une forte explosion, une explosion de vie, de sentiments humains, et d’énergie puissante. Comme sur le toit du monde, mes oreilles sifflaient jusqu’à présent, et le vent frais m’empêchait de définir avec certitude d’où provenait ce sifflement, qui pouvait aussi bien être dans ma tête ou appartenir au souffle de la nature. La maison rouge qui hébergea naguère tant d’agitation semblait satisfaite de retrouver sa tranquillité, et à la manière d’une femme elle me fût chaleureuse et m’accueilli seul comme au 1e jour, quand les rêves n’étaient encore que des graines d’aventure, et des hologrammes instables dont j’étais l’unique observateur.
C’est fait maintenant, accompli ! J’étais préparé depuis longtemps à cet instant, et j’étais résolu à être pleinement attentif et alerte à chaque minute de ce point culminant, comme un animal pacifié, comme un lion rassasié. La bête, le loup nerveux, le guépard des savanes s’était enfui avec la peur sans dire un mot, et je réalisai que ce vieux compagnon m’avait abandonné depuis quelque temps déjà. Je suis une personne, man chi ñan comme disent les Manjaks, et même ce lion n’est qu’une allégorie du triomphe du cœur sur la peur.
Mais les sirènes de police, les sonos hurlantes, et les slogans scandés de la rue me tirèrent de ma méditation ; Abdoulaye Wade, président du pays est venu pour faire campagne pour la très prochaine élection présidentielle. Les tumultes du monde rattrapent toujours les rêveurs fugitifs où qu’ils se cachent. C’est terminé maintenant, je dois descendre de mon gâteau géant et raconter l’histoire pour boucler la boucle. Oh ce n’est pas tâche facile, il y a trop de choses à raconter, trop de photos, et de bouts de film, je ne pourrai tout dire, ni tout montrer, et je le ferai probablement en plusieurs fois.
Arrivé à Dakar de Paris, je rencontrai mes futurs compagnons de route, dans la maison de Samuel Desmoliens, l’ingénieur qui sait construire des ponts humains avec des cœurs ouverts, et des âmes enchantées, sur de puissants piliers d’amitié. Cette description lyrique de notre saxophoniste et bienfaiteur est d’Adeildo Vieira, un troubadour cinquantenaire né d’une famille d’artistes, il sillonne le Nordeste brésilien avec ses fils. Homme d’une grande sensibilité, équanime comme un maître spirituel, il possède en outre un grand sens de l’humour. Il était venu avec l’un de ses fils Ruda Barreto, jeune homme charmant, discret, et un très bon guitariste, avec qui j’eus plaisir à travailler. Je retrouvai Victor Ramalho que j’avais rencontré au festival de Saint Louis Jazz l’été dernier avec les membres du Chico Correa electronic band. Un vigoureux percussionniste et un batteur très demandé, un fou jovial très volubile et malin, il est aussi photographe et réalisateur professionnel au Brésil, mais la musique est sa passion 1e et sa priorité ; le compagnon et chalengeur parfait pour les blagues d’Adeildo.
Vant Vaz avait fait le voyage avec sa femme Izaah et leur fils Ayleen, il est à l’origine de la Tribo Ethnos un large collectif d’art, de musique, danse, et d’art graphique, qui a la réputation d’être le mouvement Hip Hop le plus important de l’état de Paraiba au Brésil. C’est un grand danseur, chorégraphe, un dessinateur, concepteur d’affiches et compositeur. C’est homme grand et nerveux ne dort pas beaucoup, surfant sur le net, montant des vidéos, c’est un cinéphile très avisé et ses tendances intellectuelles sont compensées par la présence et le sourire lumineux de sa femme Izaah toujours proche, très souvent tempérante mais pas toujours. Elle prends soin d’Ayleen, l’enfant lunaire, qui a commencé à danser sur scène à l’âge de 6 ans, il en a 12 aujourd’hui.
Lavinia Teixeira est danseuse elle aussi, et a été une des 1e à intégrer la Tribo Ethnos, mais elle est également professeur de Français à João Pessoa, et nous étions tous ravis de découvrir une aussi charmante traductrice. J’avais naturellement beaucoup de contacts avec elle, mais elle était bien sûr très demandée, et ce fût une belle surprise de découvrir que je pouvais comprendre la plupart des mots de leur langage, même s’il était frustrant de ne pouvoir le parler. Mais je m’appliquais à améliorer cette capacité et à la fin du voyage, je pouvais comprendre les propos rapides de Victor et de Vant, et je pouvais rire à leurs blagues. Il est intéressant de noter à ce sujet qu’il m’a fallu beaucoup de temps pour me débrouiller en Wolof et que je ne parviens toujours pas à comprendre les blagues de cette langue après 3 ans passés au Sénégal. Comme il est rafraîchissant de constater combien la réalité prend plaisir à mettre les points sur les i de nos fumeuses théories, et j’aime, et j’ai besoin de son autorité, car c’est pour moi la chose la plus précieuse dans la vie, aucun livre, pas même le plus inspiré ne peut l’égaler, aucune bibliothèque ne peut embrasser ou décrire sa complexité, parlez-en aux physiciens !
Alioune Badara Thiam alias Badou, le bassiste du Peace Orchestra était là, il venait de subir un très sérieux accident de voiture sur le chemin qui le menait de Ziguinchor en Casamance à la maison de Samuel à Dakar. Par chance il s’en tira avec quelques foulures et une entorse à la main gauche qui le gêna pour jouer. La basse, la base affaiblie par les circonstances de la vie, un message pas très rassurant avant le début, rien ne saurait être gagné à l’avance, et tout pourrait s’arrêter de la même façon juste avant ou pendant le processus.
Ainsi avec les compagnons fraîchement rencontrés, Badou, Samuel et sa compagne Gnima rebaptisé Énigma par Vant et qui participait au processus en tant que danseuse, nous embarquâmes à bord du grand transbordeur blanc l’Aline Sitoé Diatta à la rencontre des membres du Peace Orchestra.

Babou

Gnima et Sam

Victor Ramalho

Adeildo Vieira

Lavinia Teixeira

Vant Vaz, Victor

Ayleen, Vant, Izaah
arrivée à l'Alliance de Zig

le poète Amadou Lamine Sall, Vant Vaz

Sylvain Prudhomme, Joël Bassène, Samuel
Adeildo, Ruda

photos de Victora Ramalho
Après avoir visité plusieurs endroits à Ziguinchor, les Brésiliens et Sam me demandèrent pour mon plus grand plaisir, d’établir la résidence dans la maison rouge en lieu et place du Centre Culturel Régional comme cela était convenu. Ils devaient tous les soirs dormir dans une maison prêtée par l’Alliance Française près de l’aéroport.
Le 12 janvier fut le début effectif du procédé Berimbaobab, c’est le nom imaginé par les membres de la Tribo Ethnos, un jeu de mot avec l’instrument brésilien d’origine africaine appelé le bérimbao, et l’arbre emblématique du Sénégal. En bref, nous avions 9 jours pour construire un spectacle d’1 heure et demie, avec 3 répertoires différents, 15 musiciens et 3 danseurs.
Nous décidâmes de passer toute la 1e journée à écouter un peu du répertoire de chacun, et d’en discuter après.
Tribo Ethnos ouvrit le bal en chantant pour tous les musiciens du Peace Orchestra, puisqu’Adeildo les connaissait depuis longtemps, et chantaient avec eux. Badou qui avait appris les lignes de basse à Dakar les accompagnait.
Alors ce fût le tour d’Adeildo, et Badou Vant et Izaah l’accompagnaient.
Puis vint notre tour. Nous n’avions pas joué ensemble depuis la fin du mois de novembre ; on s’arrêta et reprit plusieurs fois. Concentré sur chaque partie musicale, j’avais des difficultés à dire les textes convenablement, mais nous étions manifestement heureux de jouer à nouveau, plein d’énergie, avec l’œil pétillant du plaisir, et le sourire incontinent. Ce fut une répétition folle et très euphorique.
Après la discussion, nous gardâmes le même ordre d’apparition pendant la tournée entière. Nous allions clôturer le spectacle, et tous les musiciens du Peace Orchestra étaient fiers de constater que des musiciens professionnels brésiliens les respectaient, et j’eus la faiblesse d’être touché par leurs compliments flatteurs.
Tribo et Adeildo avaient 6 chansons chacun, quand la longueur des nôtres nous bornait à 3, 30 minutes pour s’exprimer. Nous étions tous d’accord pour jouer « Following », et clôturer avec « Protest song », mais les opinions divergeaient pour le 3e. Les uns voulaient jouer « Afrikentêt », les autres préféraient « You shouldn’t », et je tranchai finalement pour « Gaspard, Alsène, Poppée », en leur dédiant cette aventure.
Ainsi chaque matin, la maison rouge se remplissait de curieux et d’artistes, et Mama, la femme de Joël, revint spécialement pour nous cuisiner des plats délicieux et inspirés. J’appris les parties de guitares et les chœurs de leurs répertoires respectifs, et je donnai des tablatures et des partitions à Ruda qui les déchiffra très facilement. Tout le monde eut quelque chose à apprendre, certains plus que d’autres. Pendant que Super Sam devait apprendre toutes les parties de sax du show, les batteurs et les percussionnistes parlèrent le même langage presqu’instantanément. Mais au-delà de la cuisine, il y avait la faim, un immense désir mutuel de vivre cette aventure, une combinaison unique de rêves. Quand Vant initia le mouvement Tribo Ethnos il y a 25 ans, lui et ses nombreux compagnons associèrent en premier lieu, des artistes africains à leur quête pour une expression artistique universelle. Somos tudos um, le monde est petit. Et ils étaient fiers, et c’était enrichissant d’apporter aussi un peu de culture Amérindienne pour élargir le cercle davantage.
Adeildo qui a influencé et soutenu beaucoup des membre de la Tribo rêvait de ce voyage depuis des années, parce que l’Afrique est la principale source d’inspiration de sa musique depuis 30 ans, et il prit un plaisir particulier à chanter ici « Africa de mim » « Mon Afrique » .
Samuel connaît la Casamance depuis l’enfance et elle le mystifia depuis ce temps. Plus tard, jeune homme, il vécût une forte expérience au Brésil où il tissa de nouveaux liens familiaux, et garda l’espoir de faire venir un jour ses amis si chers, sur cette terre dont il leur avait tant parlé.
Ces 3 rêves venaient s’agglomérer au mien pour créer une entité très puissante, un hyper rêve ! Allait-il exploser comme une bulle ? Nous savons tous que les structures complexes sont plus vulnérables et instables, et chacun comprenait la chance que nous avions d’en faire partie, et était conscient de la difficulté d’en trouver l’équilibre.
Le 1e test vint rapidement alors que Viviane demanda la permission de partir avec son enfant d’1 an et demi. Viviane est une formidable chanteuse, mais elle est loin d’être une professionnelle, c’est sa 1e tournée, et elle avait complètement oublié de discuter de cet aspect, en en étant informée depuis des mois. Elle pleurait parce que Sam restait ferme, et elle pensait vraiment qu’elle ne pourrait pas laisser l’enfant qu’elle allaitait, et qu’elle allait manquer de ce fait cette occasion unique. Les membres du Peace Orchestra s’impliquèrent, et exprimèrent leurs opinions divergentes, mais nous étions émus de constater combien les compagnons Brésiliens se sentirent concernés par cet incident, et nous organisâmes une grande réunion avec tous les membres du Bérimbaobab pour en discuter. Les gens argumentaient avec respect et attention, c’était impressionnant ! Quelque chose était en train de se passer au-delà de l’art et de la musique et qui procédait de l’amour. Viviane comprit ce qui était en jeu, et accepta de laisser l’enfant à sa famille. De cette tempête dans un verre d’eau, coula la sève de notre baobab qui était vivant et sain.

Olga Diehdiou, Viviane Tendeng, Izaah Tribo

Héba Bodian, Longuenza
Nous travaillâmes avec enthousiasme des heures durant, nous aimons la vie, et ce que nous faisons : des ateliers le matin, et l’après midi, avant chaque répétition générale, Adeildo qui lui aussi comprenait le Français de mieux en mieux commençait le rituel par un « Je vous souhaite une bonne répétition » qui était très utile pour notre concentration.
Nous étions prêts pour jouer à l’Alliance, et nous étions confiants, mais Béatrice Launay, un professeur de Français que j’avais l’habitude de saluer à l’Alliance fut trouvé morte seule dans sa maison, le crâne enfoncé et beaucoup d’éléments troublants et de mystères entouraient cette affaire, quand le médecin déclara que la mort était survenue 2 ou 3 jours auparavant. Tout le personnel de l’Alliance était choqué par une révélation aussi brutale, et Sylvain Prudhomme, le directeur décida d’annuler le concert qui devait avoir lieu le lendemain, vendredi 20 pour le reporter au lundi 23.
Je fis de mon mieux pour minimiser les conséquences auprès des artistes impliqués dans le processus Berimbaobab, mais je savais que ça n’était pas anecdotique. La chose étrange est que j’avais remarqué la présence de Béatrice, la 1e fois que nous étions allés à l’Alliance avec les amis brésiliens 9 jours auparavant. Elle était en train de parler à quelqu’un pendant que j’étais occupé à écouter quelqu’un d’autre, et je ne pus retenir son attention avant son départ. Je me souviens m’être demandé si elle était informée du concert puisqu’elle n’avait pas pu assister à celui de l’an dernier.
Le clip vidéo avait été diffusé sur les chaînes nationales et nous attendions beaucoup de monde ce vendredi qui est le meilleur soir ici. Qu’est ce que la réalité cherchait à me dire ?
Samuel nous invita Joël et moi à joindre, Gnima, et les amis brésiliens à faire une petite excursion sur l’île de Carabane, un endroit merveilleux au milieu de nulle part, dans une maison enchantée sur pilotis, suspendue au-dessus de la mer. 2 jours de congé pour visiter Dame Nature, avant le 1e concert de la tournée Bérimbaobab. L’endroit était si beau que nous en oublions la dangereuse question : Comment tout cela allait-t-il finir ?
Je vous le raconterai la prochaine fois.